dimanche 13 janvier 2013

Est-il rationnel de taxer l'obésité ?




Cet article du Monde nous apprend que le Royaume-Unis réfléchie à la possibilité de contraindre les personnes obèses à faire de l’exercice sous peine de sanctions financières. On apprend également que la ville de Strasbourg fournie des abonnements dans des salles de sport sur ordonnance du médecin.

Les comportements nocifs pour soi mais surtout pour la société font intervenir le législateur qui cherchent à les réguler (vol, drogue illicite, tabac, abus de pouvoir, etc…).

Cette législation limite les libertés individuelles : l’interdiction de tuer autrui ne pose pas de problème (et encore…), interdire l’usage des drogues dures est admis même si certains pensent qu’il serait  plus efficace de légaliser, fumer du tabac est légal mais fortement taxé, etc…

La proposition de contraindre les personnes obèses à pratiquer une activité physique sous peine d’amende revient à taxer un comportement nocif pour l’individu et pour la société.


  • Taxé dans le sens où il y a une sanction financière si l’activité physique n’est pas pratiquée, mais également taxé en terme de temps, d’efforts, de coût d’opportunité si cette activité est pratiquée.
  •  Comportement nocif : l’obésité entraine des complications de santé qui ne sont plus à prouver pour l’individu mais également des coûts pour la société dans le cas où les frais médicaux sont en partie payés par l’Etat et donc par la collectivité.

Une comparaison avec la consommation de tabac.

Le législateur « vend » la taxation en privilégiant l’aspect moral et le bénéfice sanitaire pour le consommateur. Or, dans le cas de la cigarette, les hausses de prix n’ont que peu d’influence sur les quantités consommées, on parle d’inélasticité prix. Seule une forte hausse réalisée en une fois fait baisser significativement la demande. Des hausses « modérées » successives ont un impact faible à long terme,  avec une chute temporaire de la demande au moment de la hausse des prix. Donc taxer le tabac sans autres mesures de prévention revient à contraindre le consommateur, qui n’est pas dissuadé de la cigarette, à cotiser sous forme d’impôt pour ses futurs frais médicaux devenus plus probables.

Quelques principes sur l’assurance :

Les cotisations pour les complémentaires maladies augmentent avec l’âge de l’assuré. Avec l’avancement dans la vie, la probabilité de tomber malade devient plus grande.

Hors franchise, mutualisation et coûts de transaction, la cotisation est égale à la probabilité de percevoir l’indemnité multipliée par le montant de l’indemnité.

Cotisation = p * indemnité       avec p la probabilité que l’évènement qui déclenche l’indemnité se réalise

Si la probabilité d’être indemnisé devient très importante et s'approche trop de 1, on perd le principe de l’assurance. Pour le cas extrême où p = 1 (l’évènement est certain) la cotisation est égale à l’indemnité se qui correspond à une épargne.
Avoir un comportement qui augmente fortement le risque de maladie ne peut plus être assuré, le consommateur doit épargner volontairement ou non pour pouvoir payer ses frais de santé. Les assurances « invalidité » ne peuvent plus être souscrites après le diagnostic de certaines maladies par exemple.

La consommation de tabac augmente significativement la probabilité d’avoir recours à des soins médicaux. La réglementation interdit aux assureurs privés de tenir compte ou de collecter certaines informations pour éviter des dérives, mais la partie de l’assurance santé supportée par l’Etat contourne le problème en taxant les produits néfastes et non en augmentant les cotisations des assurés aux risques plus élevés.

Pour en revenir à l’obésité, si le risque sanitaire lié au surpoids devient trop important, il est donc rationnel que le principe de l’assurance soit remis en cause et qu’un dispositif d’ « épargne » soit mis en place. Le nombre de décès lié au cholestérol et aux problèmes de poids aux Etats-Unis est supérieur au nombre de décès lié à la consommation de tabac.

Évidement, les incitations financières seules ne suffisent pas à modifier les comportements. Pour ne pas être dans le cas où l’impôt supplémentaire soit équivalent à payer ses futurs frais médicaux, il faut d’autres mesures préventives et curatives.

Deux arguments « éthiques » peuvent être avancés pour nier le principe de taxation des mauvais comportements alimentaires, mais ils ne sont pas irréfutables.

Se contenter de dire que les personnes en surpoids ne sont pas responsables de leur situation et donc, qu’il est injuste de les taxer ne suffit pas.

Même s’il y a un fort déterminisme génétique pour les problèmes de poids, les mauvais comportements alimentaires ne sont pas sans influence.
Les fumeurs sont taxés alors que la probabilité d’être fumeur en ayant des parents fumeurs est forte comparée à la probabilité d’être fumeur avec des parents non-fumeurs. De plus, la sensibilité aux addictions est en partie déterminée génétiquement. Il n’est donc pas raisonnable de dire que les fumeurs ont fait un choix libre de toutes influences et qu’ils sont pleinement responsables de leur consommation.
Idem, pour les consommateurs de drogues illicites qui ont généralement des facteurs génétiques, environnementaux, psychologiques qui ne les rendent pas non plus totalement libre dans leurs choix et pourtant ils ont été mis dans l’illégalité.

Ce qui peut-être choquant dans la proposition anglaise, c’est de taxer un comportement a posteriori, une fois que les effets néfastes sont réalisés. Pour être clair, on taxe les personnes obèses et non la consommation de produits malsains, alors que l’on ne taxera pas les cancéreux mais uniquement les cigarettes. Même si ça présente des problèmes évidents de stigmatisation, c’est surtout une question pratique. Taxer un cancéreux ne servira à rien, même l’arrêt immédiat de la cigarette n’a que peu d’influence sur l’avenir de sa maladie à court terme. Alors que modifier le comportement de quelqu’un en surpoids, quelque soit le mode d’incitation, peut encore être significativement bénéfique.

En France, la taxation des personnes en surpoids n’est pas à l’ordre du jour, mais la taxation des produits qui favorisent l’obésité est mise en place progressivement : boissons énergisantes, soda, produits industriels, fast food et tout ce qui ressemble à la junk food sont ou le seront à plus ou moins long terme selon certains.

Pour l’anecdote, Ryanair envisageait de mettre en place une tarification indexée sur le poids des passagers. Ça se justifie économiquement, le coût variable d’un vol est composé principalement par les coûts de carburant qui eux-mêmes dépendent du poids transporté. Mais discriminer sur le poids est jugé immoral, c’était un coup de com’.

En conclusion, les pays occidentaux mangent trop, surtout trop de viande, souvent mal et on gaspille énormément de nourriture. Les politiques agricoles et le secteur alimentaire en général, qu’il soit européen, américain ou dans les pays en voie de développement est jugée de plus en plus inefficace en n’intégrant pas les coûts sanitaires, écologiques et inégalitaires. A priori, à moyen-long terme de nouveaux arbitrages seront mis en place, plus favorables à l’économie d’énergie (production locale moins consommatrice d’eau et de carburant). Les produits industriels trop salés, trop gras et trop sucrés devraient diminuer par des incitations financières les rendant moins profitables et par l’évolution de la demande avec des consommateurs mieux informés. Les monocultures des pays en développement destinées à l’exportation au détriment des besoins alimentaires locaux posent des problèmes d’inégalité qui influencent les phénomènes migratoires et les problèmes qui lui sont associés. Etc…

Ps : Le raisonnement ne tient pas compte de la mutualisation des risques en assurance qui revint à faire porter une partie des coûts des personnes à fort risque par les personnes à risque plus faible. La contre partie est la mise en place de franchise et un menu de contrats pour s’adapter à chaque catégorie d'assurés. J’ai ignoré cet aspect car cela fout le bordel pour la démonstration n’invalide pas le raisonnement mais le nuance (fortement ?). Le point qui me semble essentiel est de déterminer à partir de quelle valeur de p (probabilité de bénéficier des indemnités) le principe d’assurance doit être complété par un mécanisme d’incitation pour modifier le comportement nuisible et la mise en place d’une taxation pour compenser l’augmentation du risque et des coûts qui lui sont associés.

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