mardi 12 mars 2013

L'Art délicat de l'Abandon

 

« Si tu veux faire d’vieux os dans c’métier soit libre comme l’air, tout ce qui a pu prendre une place dans ta vie tu dois pouvoir t’en débarrasser en 30 secondes montre en main, dès que t’as repéré un seul flic dans le coin. » Heat, Neil McCauley

« Si tu abandonnes une fois, tu abandonneras toute ta vie » Top Chef


Les pièges abscons :


Il s'observe "chaque fois qu'un individu reste sur une stratégie ou une ligne de conduite dans laquelle il a préalablement investi (en argent, en temps, en énergie) et ceci au détriment d'autres stratégies ou lignes de conduites plus avantageuses". [1]

Quelques exemples de pièges abscons :

Les machines à sous dans les foires. Chaque nouvelle pièce insérée dans la machine nous fait espérer un jackpot imminent, les pièces avancent, mais la machine est conçue pour que les pièces ne tombent massivement rapidement. Ainsi, chaque nouvelle pièce insérée nous fait imaginer nous rapprocher du but alors qu’il est toujours aussi aléatoire et éloigné. De menus gains de temps à autres nous apportent le réconfort suffisant pour persister. La meilleure stratégie est évidement de ne pas jouer, la moins pire est de s’arrêter dès que possible et accepter d’encaisser sa perte.

Même principe avec les joueurs maladifs persuadés que la prochaine donne va les refaire alors qu’il se rapproche un peu plus de la faillite personnelle.

Une voiture qui demande des réparations importantes. Au choix, s’en débarrasser et investir dans une nouvelle voiture ou investir dans les réparations. Lors de la prochaine panne, l’investissement précédent nous incite à ne pas nous débarrasser de la voiture dans laquelle on a tant investie, et ainsi de suite… Au final, la somme des réparations pourrait coûter d’avantage que le prix d’une nouvelle voiture moins « pénible ».

Les étudiants qui s’engagent dans des études et qui s’aperçoivent tardivement qu’elles ne sont pas à leurs goûts hésitent à abandonner : il faudrait accepter la perte de temps, admettre qu’on s’est trompé et se retrouver dans une situation d’échec. On peut parier que le rendement du diplôme obtenu une fois sur le marché du travail sera sous-optimal puisqu’a priori l’étudiant sera mal positionné (poste non en adéquation avec le diplôme, positionné sur le domaine de son diplôme mais qui ne lui convient pas).

Les dispositifs de fidélisations commerciales supposent en générale d’assumer une perte pour pourvoir changer de distributeur. (On croit parfois renoncer à un gain mais si la fidélisation se traduit par une remise, la somme des remises distribuées par l’entreprise sont intégrées dans ses prix. Les prix payés sont donc au-dessus du « juste  prix » et seule la fidélisation avec un décalage temporelle permet de récupérer tout ou partie de cette sur-tarification).

Les couples qui espèrent surmonter une mauvaise passe qui s’éternise. Ou un amoureux laborieux qui  se persuade à chaque tentative qu’il se rapproche de sa conquête.

Un salarié qui s’accroche à son emploi malgré un coup psychologique important, estimant que les choses vont s’améliorer et qu’il n’a pas d’autres choix.

Un entrepreneur en difficulté qui ne souhaite pas renoncer à son rêve, accumulant les dettes, et misant sur la réussite du prochain exercice.

Etc...

Les pièges abscons sont partout et à éviter. Une fois dans l’engrenage la seule solution est d’assumer sa perte (temps, argent, investissement émotionnel…) et d’abandonner. Se pose alors la question de faire les bons choix et savoir si on est réellement dans un piège abscon.

D’une manière générale, toutes situations durablement inconfortables nécessitent une mise en question pour savoir si l’on souhaite y renoncer et se lancer dans une dynamique de changements.


L’illusion de faire des choix

Choix sous contraintes : contraintes financières, logistiques, dépendants d’autrui, des responsabilités à assumer et/ou un environnement non favorable peuvent influencer fortement le nombre et la qualité des choix disponibles. Les plus volontaristes diront que ce sont des contraintes illusoires qui servent d’ « excuses » et que « si on veut on peut », le problème n’est qu’une question sur les modalités du changement.

Le déterminisme : croire que l’on a fait des choix alors que l’on subit nos déterminants socio-économiques et culturels, reproduisant ou  rejetant la reproduction sociale par exemple. Un fumeur assumant son comportement nocif est influencé par sa dépendance et son environnement (les enfants de fumeurs ont une probabilité plus grande d’être fumeur) il ne fait pas un choix en toute liberté malgré ses déclarations. Idem pour le divorce.

La place du hasard est sous-estimée par confort psychologique. Une succession d’évènements aléatoires nous a amené à une situation que l’on assumera par « j’ai fait mes choix », « j’ai pris ma vie en mains » en ignorant l’effet papillon. La notion de réussite ou d’échec  laisse une grande place au hasard que le cerveau humain sous-estime pour son besoin de trouver des liens de causalité et ne pas se sentir impuissant dans un monde chaotique. [2] 

S’enfermer dans des pièges abscons, ou plus généralement, dans des situations peu satisfaisantes est facile et fréquent. Certains diront que subir durablement une situation en apparence néfaste est en réalité un choix qui nous satisfait. Entre cette situation négative et se lancer dans une dynamique de changement -dont  l’issue est incertaine- et l’inconfort psychologique que cela entraîne, certains n’hésitent pas à renoncer à ce changement.

De plus, l’Homme a une grande capacité à se mentir à lui-même et ignorer les bénéfices d’une situation qu’il dit néfaste (masochisme, bénéfice de la victimisation, se méprendre sur ses véritables envies etc…). Ainsi, on peut accepter une situation qui nécessite des sacrifices importants mais en retirer un bénéfice qui nous sont plus ou moins inconscient ou dont on pourra profiter plus tard. 

Abandonner à bon escient est un choix difficile qui nécessite un minimum d’introspection pour connaitre ses véritables motivations, de connaissances, en particulier pour tenter d’échapper au déterminisme, et de courage pour renoncer ou accepter et assumer la situation.

Sociologie 2.0 : Production low cost, un prédigéré à consommer sans sauce.


[1] Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1987, page 34
[2] Le Cygne Noir Nassim N.Taleb

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