mardi 30 avril 2013

L'obsolescence programmée : le responsable n'est pas coupable !


« On peut tromper 1 fois 1000 personnes mais on ne peut pas tromper 1000 fois 1 personne ».

L’obsolescence programmée fait son retour médiatique avec une loi allongeant les durées minimum de garantie.
Je vais me baser sur un article du Monde qui recense les différentes formes obsolescences programmées pour les discuter d’après un point de vue économique. Je compléterai ce référencement avec les exemples qui  sont couramment avancés dans les médias.


A-    La fragilité générale des biens


Chaque bien est un mix de différentes qualités telles que l’esthétique, la fonctionnalité, le prix, la durée de vie. Chaque qualité imposant des contraintes aux autres (esthétique impose le recours à des matériaux moins solides par exemple, ou un prix bas conduit à une utilisation de composants de moins bonne qualité). Il suffit que la durée de vie soit une qualité peu privilégiée par les consommateurs pour que les producteurs n’en fassent pas une priorité et favorise des qualités  plus intéressantes pour leurs clients. D’un point de vue théorique, on admettra qu’un client préférera toujours un produit à un autre si l’ensemble des qualités des deux produits sont identiques sauf une qui sera supérieure.

Concrètement, entre deux biens identiques, le client préfère le moins cher. Entre deux biens de même prix et à qualités identiques (esthétique, popularité, fonctionnalité etc…) le client préfèrera le bien qui dure le plus longtemps.

Ce principe reste théorique car il nécessite plusieurs hypothèses notamment la concurrence pure et parfaite. Néanmoins, si on laisse le temps aux consommateurs de faire l’apprentissage des produits, à terme on arrive à une sélection qui répond au mieux aux attentes du client, chaque producteur étant animé par le recherche de profit, il cherchera toujours à s’adapter  et être au plus près des préférences de ses clients pour gagner des parts de marché.


B - Les pannes électriques prématurées.


La concurrence se faisant essentiellement par les prix, les producteurs sont incités à baisser leurs coûts de production au maximum pour gagner des parts de marché en limitant la qualité des composants dont la durée de vie sera inférieure à des composants de meilleure qualité mais plus chers. Si un producteur était capable de produire un bien aux caractéristiques équivalentes mais plus durable pour le même prix de vente, il est fort à parier qu’à moyen terme il s’accaparera l’ensemble de son marché par la simple promotion de ses clients vantant son meilleur rapport qualité/prix.
Cette obsolescence est le résultat de la démocratisation de ces produits par la chute de leur prix.
Des produits plus chers à la durée de vie plus longue existent : Dyson, des cuisinières haut de gamme, des machines à laver allemandes, mais leurs prix ne les rendent pas accessibles à tous, la qualité ayant un coût.

C – Les pièces usées non remplaçables


            C1 – Les pièces moulées

Certaines pièces sont moulées et ne sont plus un assemblage mécanique de pièces  ce qui rend leur remplacement impossible, cela est encore le résultat de prix bas privilégié par le consommateur, le moulage présente un coût de production moindre qu’un assemblage mécanique de plusieurs pièces.

          C2 – La difficulté de faire réparer ses appareils par un professionnel (qui cumule les activités de réparation et de vente)

C’est le même principe que le contrôle technique et les garagistes, mieux vaut séparer les deux activités car le client s’expose à une asymétrie d’information et à un conflit d’intérêt. Le client demande un diagnostique à un professionnel qui a l’opportunité de réaliser une meilleure opération financière selon le résultat. Les mécanismes d’incitation ne sont pas en faveur du client qui aurait mieux fait de s’adresser un pur réparateur qui lui est incité à trouver une solution de réparation et au meilleur coût si son secteur est concurrentiel. Encore une fois la responsabilité revient principalement au consommateur.

C3 – La réelle difficulté de trouver des pièces de rechange.

Pour le petit électroménager au prix de la main d’œuvre il est rationnel de ne pas souhaiter réparer et d’investir dans un nouveau produit, la différence de prix entre les deux possibilités n’étant pas à l’avantage de la réparation.
Pour des appareils de prix plus important, là encore, il s’agit d’une conséquence des habitudes des consommateurs qui ne privilégient pas les réparations rendant la filière peu rentable par la faiblesse de la demande, au point de la faire quasi-disparaître. Par l’effet de la crise, et la nécessité de réduire les dépenses, la demande en pièces détachées redémarre au point que certaines marques investissent fortement dans cette filière (SEB).

C4 – Le cas des batteries d’Ipod

Une class’action a été lancée contre Apple pour l’obsolescence de ses batteries. Plus généralement les produits Apple sont relativement cher comparés à la concurrence. Encore une fois, cela est le résultat des habitudes de consommation des clients. Apple bénéficiait d’un pouvoir de marché important, l’image de sa marque lui assurait la fidélité de ses clients et en attirait de nouveaux, ce qui lui permet de contrôler les prix de son marché et de les fixer au-dessus de la concurrence sans nuire au volume de ses ventes lui assurant par la même une rentabilité importante. Ce pouvoir de marché exceptionnel lui a permis de ne pas assurer de service après vente convenable et même peut-être de limiter volontairement la durée de vie de ses batteries. La Class'action s’est conclue par un dédommagement des clients en produits Apple, et ces clients ont continué à acheter par la suite du Apple au lieu de sanctionner l’entreprise pour son mauvais comportement. Si les consommateurs s’étaient détournés de la marque, celle-ci aurait été obligée de revoir sa politique pour ne pas voir ses ventes chuter. (Apple vient d’annonce des chiffres décevants, l’Apple 5 ne convainc pas les clients qui préfèrent se tourner vers d’autres produits comme Samsung ou l’Apple 4 et 4S, ce qui prouve que le client est capable de s’adapter s’il estime ne pas payer le juste prix).

D- La solidité des voitures et la difficulté d’effectuer soi-même les réparations simples.

            D1- Les carrosseries molles

La fragilité des carrosseries qui s’abîment au moindre choc sont une conséquence de la recherche de sécurité. L’habitacle a une structure relativement rigide pour protéger les passagers, mais entre celui-ci et la carrosserie, les ingénieurs ont prévu une organisation qui permet d’amortir les collusions. Ainsi, la mollesse de la carrosserie plus des vides et des matériaux « pliables »  entre l’extérieur de la voiture et l’habitacle permet une dissipation de l’énergie cinétique nuisible aux passagers lorsqu’il y a collision.

            D2 – Les réparations simples

On reproche aux voitures de ne plus permettre aux usagers de les réparer eux même en particulier les ampoules de phares, la batterie etc.. On peut envisager la possibilité que cela relève des préférences du consommateur qui accorde beaucoup d’importance à la taille de l’habitacle toute en minimisant la taille totale de la voiture, imposant ainsi aux producteurs des contraintes sur l’organisation spatiale de la partie sous le capot qui pourrait entraîner des problèmes d’accessibilités aux consommables.
Le tout électrique pose également des problèmes, mais si cela ne correspond pas aux attentes du client cette technologie sera petit à petit rejetée. Néanmoins, elle présente certains avantages, comme un diagnostique relativement complet, rapide et relativement peu coûteux (même s’il doit y avoir encore des économies d’échelles à faire lorsque cette technologie se sera réellement démocratisée). Il y a également des qualités de prestige à avoir une voiture « moderne » qui peuvent compenser ces désavantages lors de l’achat et de l’utilisation jusqu’au jour où il y aura un problème…

E- L’informatique


            E1 – Les logiciels trop complexes

Les fabricants de logiciel, produisent généralement leurs produits avec le maximum de fonctionnalités selon des contraintes de coût, de temps et de technologie. Les fonctionnalités les plus avancées ne concerneront qu’une poignée d’experts mais elles seront exigées, à défaut ceux-ci se tourneront vers la concurrence. Les fabricants produisent alors plusieurs versions à partir de cette version pro, mais chaque version coûte un peu plus cher puisqu’elle nécessite un travail de réorganisation du programme. On arrive alors à un résultat surprenant, les versions light coûtent plus chers à produire que les versions complètes mais elles seront vendues moins cher. Le producteur à segmenter son marché, il fait payer un prix en-dessous du « juste » prix aux consommateurs de version light et un prix au-dessus du « juste » prix aux consommateurs qui ont la plus forte propension à payer car ils exigent certaines fonctionnalités. Le nombre de version n’étant pas illimitée car coûteuse à produire, il est fréquent que les utilisateurs les moins experts se retrouvent avec des versions trop complexes pour leur utilisation, mais ils devraient se réjouir d’avoir acheté un produit à un prix en partie subventionné par des utilisateurs disposés à payer d’avantage contre des fonctionnalités avancées.
Cette segmentation de la clientèle se retrouve fréquemment lorsqu’il existe des dispositions à payer très diverses pour un produit ou un service dont le coût de production d’une unité supplémentaire est nul ou quasi nul et la discrimination possible (billet de train, cinéma etc…)

            E2 – Les imprimantes et les cartouches

Hors la fameuse puce limitant le nombre d’impressions, il me semble (l’expérience personnelle compte beaucoup dans l’obsolescence programmée…) que les imprimantes et les vieux modems ont toujours été des produits informatiques sensibles en particulier en terme de stabilité. Ainsi, malgré une certaine expérience dans ces technologies, elles ont (avaient ?) régulièrement des problèmes de compatibilité avec d’autres programmes demandant de nombreuses manipulations pour être réglées (calibrage, drivers, réinitialisation etc…) Les imprimantes utilisées en entreprises sont généralement moins sensibles mais le prix et leur environnement (gestionnaire informatique) n’est pas le même.
Concernant les cartouches d’encres dont un message inviterait à les remplacer prématurément, on peut imaginer qu’il y a là un aspect pratique à avertir avant la panne sèche pour pouvoir se prémunir, il suffit de savoir que l’on peut encore imprimer après le premier message d’alerte.
Les cartouches sont également des biens complémentaires, tout comme les rasoirs et les lames. Les producteurs sont tentés de profiter du manque de rationalité et de la myopie des consommateurs qui privilégient parfois la comparaison des prix de l’achat du principal (rasoir – imprimante) en ignorant plus ou moins partiellement le prix des consommables. Les producteurs sont alors incités à se faire une guerre des prix sur le principal qui peuvent les conduire à proposer un prix en-dessus du « juste » prix, ils profitent ensuite que le consommateur soit captif (incompatibilité des consommables) pour refaire leurs marges (prix plus élevé que le « juste » et/ou inciter à la surconsommation). Là encore, ce résultat est la conséquence de la myopie des consommateurs.
Depuis peu, il existe des cartouches génériques et/ou rechargeable à moindre coût, ce qui illustre parfaitement que si une demande est insatisfaite et que la technologie le permet, un producteur tentera d’y répondre. On pourrait se questionner sur les délais de mise en place, mais on pourrait évoquer le temps d’apprentissage des consommateurs et les délais techniques qui s’imposent aux producteurs pour s’adapter.

            E3 – Le vieillissement des PC

Une mauvaise maintenance des PC, défragmentation tardive, installation de programmes publicitaires involontairement, non suppression des programmes/fichiers inutiles sont des causes connues de mauvaise performances pouvant entraîner une frustration chez l’utilisateur qui sera tenté de remplacer son matériel plutôt que de le nettoyer.
Le matériel informatique vieillit également en particulier les processeurs qui rendent en quelques années le pc, a fortiori mal entretenu, difficilement utilisable confortablement.
Lors de la commercialisation des CD, les producteurs-utilisateurs pensaient honnêtement que les données gravées sur ces supports auraient une durée de vie de plusieurs dizaines d’années. Ils se sont aperçu par la suite qu’une dizaine d’année suffisait pour corrompre les données numériques gravées.

F- Les téléphones portables

Les effets de mode, les innovations technologiques et la pression sociale poussent à un renouvellement fréquent de ces appareils, incitant ainsi les producteurs à privilégier des caractéristiques esthétiques, ergonomique et tarifaire au détriment de la durée de vie des produits et des filières de pièces détachées.
Certains best-sellers avec une image de marque importante détiennent un pouvoir de marché suffisamment important pour imposer les standards, avoir une politique de prix au-dessus du « juste » prix et même contraindre les renouvellements par des renouvellements de normes. Encore une fois, le consommateur est capable d’apprentissage et peut se détourner de la marque s’il estime ne plus être satisfait du rapport qualité/prix proposé, incitant par la même cette marque à revoir sa politique (ou pas… Samsung vs Apple)

G- La mode vestimentaire


Le shopping est devenu un loisir comme un autre, où le plaisir de l’activité et l’acte d’achat en lui-même peuvent apporter une satisfaction. Ainsi, comme tout loisir on peut souhaiter le pratiquer à moindre coût, d’où un positionnement de certains produits à prix très faible et à la durée de vie très limitée. Il existe des nouvelles matières technologiques offrant confort, résistance et esthétisme mais elles sont relativement plus chère et répondent à d’autres attentes du consommateur que le simple acte d’achat. Les matières résistantes d’autrefois ont été abandonnées par la volonté du consommateur qui n’y trouvait plus le bon mix prix/qualité/confort/esthétisme/durée de vie.
On notera que dans la plupart des cas, le renouvellement des vêtements se fait avant leur usure. Ce qui prouve qu’il n’y pas besoins de rendre les biens inutilisables pour que les consommateurs souhaitent les changer. On pourrait se questionner sur les pouvoirs des agences de marketing, mais une théorie de base du marketing est de savoir détecter les attentes latentes du consommateur (plus ou moins conscientes). Si ces attentes souhaitent utiliser l’acte d’achat pour compenser des frustrations, ce n’est pas de la responsabilité d’un ou des industrielles/marketeurs mais de l’ensemble de la société qui auto-entretien un certain type de comportements.

H- Des technologies inexploitées ?


L’idée que certaines technologies permettant une production de biens de meilleure qualité à moindre coût, seraient disponibles mais non exploitées pour éviter un effondrement du marcher ne tient pas. Si un ou des producteurs détenaient une telle technologie et qu’elle répond à des attentes du consommateur, elle serait exploitée par le producteur pour augmenter ses bénéfices au détriment de ses concurrents. Penser le contraire supposerait une entente entre les producteurs. Hors, le meilleur moyen pour briser cette entente serait d’inciter  une concurrence plus rude par l’augmentation du nombre de producteurs jusqu’à ce que cette entente devienne instable et se brise lorsqu’un producteur, misant sur son intérêt personnel, utilise cette technologie pour s’emparer de l’ensemble du marché et la rente qui l’accompagne. Je ne pense pas qu’il s’agit là des objectifs recherchés par les adeptes de l’obsolescence programmée.

I- Conclusion


I1 – Les obsolescences programmées ponctuelles

Il doit exister des obsolescences programmées ponctuelles dans une approche de One Shoot. Mais l’observation de la réalité nous montre que le consommateur est capable d’apprentissage et finira par se détourner d’un produit ne répondant pas à ses attentes de qualités/prix.
Certains consommateurs doivent ressentir une frustration à subir cette faible durabilité des produits, mais il ne faudrait pas la ressentir qu’au moment de la panne, et savoir se positionner correctement sur la gamme qualité/prix qui correspond à nos priorités (et possibilités). Il est également certains que pour certains produits la gamme n’est pas suffisamment complète si la demande sur certaines tranches est insuffisante pour être rentable.
Cependant, il reste des exemples difficilement explicables, la maintenance des voitures par exemple est vraiment contraignante ou l’évolution de certaines normes comme  les vis en étoile nous obligeant à nous procurer un nouvel outillage ou d’accepter l’impossibilité d’ouvrir et de réparer certains appareils. Concernant cette possibilité d’ouvrir certains produits, outre les aspects esthétiques recherchés par le client qui conduisent à des pratiques comme le thermocollage et d’autres possibilités la rendant impossible, il doit y avoir des aspects réglementaires pour protéger aussi bien le producteur que le consommateur de toutes manipulations hasardeuses préjudiciables.

I2 – Les mauvaises raisons de l’obsolescence programmée

Au-delà des aspects consuméristes, il y a des bienfaits à certains renouvellements précoces lorsqu’ils font suite à des innovations technologiques offrant de nouvelles expériences d’utilisations, de confort ou permettant des gains d’efficacité dans la consommation d’énergie (électroménager etc…). De plus cette recherche de prix bas, principale raison des durées de vie courte, à permis une démocratisation de certains produits qui a été profitable à l’ensemble de la société, en plus d’un gain de confort individuel pour ceux qui en ont bénéficié (lave-linge, lave-vaisselle, aspirateur, voiture, informatique etc...)

Il me semble que le concept d’obsolescence programmée recherche un objectif légitime, une remise en question de nos comportements de consommation. Mais derrière cet objectif, il y des enjeux électoraux qui incitent à faire porter la responsabilité de ses comportements sur une poignée d’industriels sans nom plutôt que de culpabiliser et responsabiliser des électeurs éventuels.


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