mercredi 20 février 2013

Rouges vs Verts : discrimination et inégalité


La discrimination au travail est majoritairement expliquée par des sentiments négatifs envers les discriminés : le machisme pour la discrimination des femmes, le racisme pour la discrimination des travailleurs  issues de l’immigration y compris après plusieurs génération, le jeunisme antivieux etc…
Une expérience de laboratoire peut nuancer cette approche par un comportement rationnel de la part des recruteurs comme des discriminés sans faire intervenir l’affect. (Le protocole de l’expérience et les résultats chiffrés sont « à la louche », je suis encore incapable de retrouver la source [1])

L’expérience est un jeu itératif c'est-à-dire en plusieurs rounds soit l’équivalent de plusieurs générations dans la réalité. Les recruteurs devront choisir leurs employés entre les verts et les rouges. L’utilisation de ces codes couleurs est censée réduire la notion d’affect à zéro.
Au début de chaque round, les candidats verts et rouges doivent choisir s’ils investissent dans une formation à 10F pour accéder aux postes qualifiés et percevoir un meilleur salaire. Le travail qualifié rapporte 20F et le travail non qualifié 8F (les montants sont arbitraires mais peuvent avoir une forte influence s’ils incitent fortement un comportement, par exemple en rendant la formation peu ou fortement rentable. On admettra que je les ai choisis de manière à respecter les critères de l’expérience).
Les rouges et les verts rentrent en compétition pour obtenir les différents postes. Après chaque recrutement, on attribut une productivité aléatoire à chaque candidat, par exemple en lançant un dé à six faces : 6 grande productivité, 1 faible productivité. Les probabilités pour chaque équipes sont les mêmes et les recruteurs ne savent pas que cette productivité est aléatoire mais constatent cette information après le recrutement. 

Les résultats dans le monde parfait


Les rouges et les verts sont choisis de manière aléatoire puisqu’ils n’ont aucune différence. Les emplois qualifiés seront occupés à 50% par des rouges, 50% par des verts. Les verts et les rouges ne sont pas plus incités à faire ou non la formation et leur répartition est égale sur ce critère. 

Les résultats dans un monde biaisé au départ


Au premier round, l’expérimentateur va piper les dés de façon à ce que les rouges aient en moyenne une meilleure productivité que les verts. Cet écart de probabilité reste cependant faible, mettons 3 pour les verts et 4 pour les rouges, en moyenne.

A partir du deuxième round, les dés sont de nouveau équiprobables, il n’y a plus de différence entre les rouges et les verts dans leur productivité.

En seulement trois à cinq round, les inégalités de revenu sont flagrantes et la répartition des titulaires de la formation est tout aussi inégalitaire.

Les recruteurs ont assimilés l’information que les rouges avaient une meilleure productivité pendant le premier tour truqué. Ils ont donc favorisé les rouges pendant le deuxième round. Les rouges ayant compris qu’ils étaient discriminés à l’embauche ne souhaitent plus prendre le risque de faire la formation et être déficitaire en n'obtenant pas les jobs qualifiés. Les rounds suivant ne font qu’accentuer les discriminations et les inégalités.

Alors que l’inégalité était faible au départ, les candidats et les recruteurs en adoptant un comportement rationnel et non affectif, ont accentué ces inégalités.

Cette expérience a été réalisée en laboratoire avec des étudiants-cobayes ignorants le protocole (surement plus rigoureux) et les objectifs de l’étude. 

Retour à la réalité


Cette étude sert à expliquer en partie les inégalités persistantes entre la communauté noire et la  communauté blanche américaine. Et ce malgré le temps qui s’écoule et qui laisserait penser que les discriminations iraient en s’amenuisant [1].

Les dés pipés du premier round peuvent être traduit dans la réalité par la faiblesse relative en capital humain d’une communauté immigrée qui ne maitrise pas la langue et la culture de leur nouveau pays. Ou, pour le cas américains, qu’elle était historiquement discriminée de par la loi et doté d’un capital humain initial moindre [2]. Ou encore dans le cas des femmes, leur arrivée historiquement tardive sur le marché du travail avec une relative faiblesse initiale dans le niveau de formation.

Le propos n’est pas de savoir s’il y a ou non une discrimination racisme ou sexiste à l’embauche, mais de constater que ce n’est pas  la seule approche possible.

L’embauche repose sur la théorie du signal : le recruteur ne sait pas qui il a devant lui et il n’a aucun moyen de le savoir à moindre coût, en particulier en terme de temps. Tout signal qui peut indiquer la productivité du candidat est pris en compte. Un diplôme, une école prestigieuse, une expérience favorable sont des signaux qui augmentent la probabilité d’avoir un candidat performant (sans pour autant le garantir, c’est une question de probabilité !). A l’inverse, les signaux susceptibles d’indiquer un rendement faible sont également pris en compte (même s’ils n’ont plus de fondement solide, seulement historique et/ou auto-réalisateur). 
Pour lutter contre les discriminations plusieurs moyens sont envisageables :
  • Une première approche consisterait à communiquer pour faire réviser l’interprétation des signaux non pertinents.
  • La discrimination positive, efficace dans les pays où elle a été mise en place, pose des problèmes éthiques non résolus en France.
  • Une autre solution serait de réduire le coût d’une mauvaise embauche pour favoriser la prise de risque du recruteur. Ainsi, la flexibilité du marché du travail et un licenciement plus facile ne serait pas nécessairement néfaste pour les personnes les plus « fragiles » et discriminées. Un moindre coût du licenciement peut augmenter leurs embauches et faire réviser, à terme, l’interprétation des signaux et favoriser l’investissement des discriminés en capital humain s’ils estiment que celui-ci a suffisamment de chance d’être rentable. 
Le CPE (contrat première embauche) répondait parfaitement à cette logique. Les jeunes, a fortiori, les non diplômés ou diplômés d’une école peu prestigieuse, ont un signal faible. En réduisant le coût d’une mauvaise embauche, les recruteurs aurait été incité à prendre plus de risque (sachant que ces salariés coûtent moins cher que des expérimentés ou des diplômés de grandes écoles) et leur offrir une expérience qui aurait renforcé leur signal pour la suite de leur carrière. 
Tout ça est très théorique et  marche pas mal en laboratoire et sur le papier. Mais dans la réalité, il est difficile de tester ces mesures, les travailleurs savent ce qu’ils perdent mais rien ne garanti le résultat.

NB : On notera que je me sers a priori d’une référence présente dans un livre de J.Stiglitz qui critique le libéralisme du marché du travail américain dans ce même livre…

[1] je suis persuadé d’avoir lu cette expérience dans « Le prix de l’inégalité » de J.Stiglitz mais je suis incapable de la retrouver malgré le temps consacré à cet objectif…. (fonction recherche Kobo à chier) 

[2] Capital Humain : théorie de Gary Becker (prix Nobel d’économie), assimilable au niveau de formation, de sociabilisassions et de toutes caractéristiques qui augmentent la productivité d’un individu. Par extension sa santé etc…


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